Un débat public sur ce sujet doit s’ouvrir dans notre pays, une telle décision ne peut pas être prise en catimini. Le glyphosate c’est d’abord le Roundup [herbicide produit par la compagnie américaine Monsanto]. Comment pourrions-nous expliquer que Bayer, repreneur de Monsanto, ait déjà été condamné à verser plus de 10 milliards de dollars à plus de 100 000 victimes du glyphosate outre-Atlantique et que l’Europe réautorise la commercialisation du pesticide le plus vendu au monde dont on retrouve partout des résidus ?

Le renouvellement pour un an décidé par la Commission européenne expire en décembre 2023. Afin de préparer la décision à venir, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a réalisé son rapport d’évaluation dont les conclusions ont été publiées le 6 juillet. Elle considère, à tort selon nous, qu’il n’y a pas de « domaines de préoccupation critique » mais reconnaît une « identification de lacunes dans les données ».

Sujet à controverse

L’EFSA ne donne ainsi ni feu vert ni feu rouge, elle renvoie la décision aux politiques, invalidant ainsi le discours de celles et ceux qui voudraient se dédouaner de leurs responsabilités en se réfugiant derrière l’argument qu’ils ne font que suivre l’avis de la science. Au contraire, l’avis de la science est inquiétant.

D’abord, une controverse scientifique existe notamment sur le caractère cancérogène du glyphosate dénoncé par de prestigieuses institutions scientifiques internationales, contrairement à l’avis de l’Autorité de régulation européenne de la chimie (ECHA).

Ensuite, le méticuleux travail de compilation réalisé par l’EFSA fait état de nombreux manques de données ou d’absence de référentiels d’évaluation des risques. Cela en est même vertigineux. Par exemple « l’évaluation des risques alimentaires pour le consommateur n’a pas été finalisée car les données établies sur l’ampleur des résidus dans les cultures ne sont pas complètes ».

Enfin, l’EFSA reconnaît que « de hauts risques liés à une exposition à long terme pour les mammifères sont identifiés dans douze des vingt-trois usages considérés » ! Ces trois éléments constituent à nos yeux des « domaines de préoccupation critiques » et devraient conduire, conformément à la loi européenne, à activer le principe de précaution. Compte tenu des ravages des pesticides sur la santé humaine et la biodiversité, la charge de la preuve devrait être inversée.

Refusons cette fatalité

Quand le directeur général de l’EFSA reconnaît devant la Commission de l’agriculture du Parlement Européen que l’effort de recherche de l’Europe n’est pas à la hauteur de l’enjeu que représente la question des pesticides et que les moyens de son agence sont insuffisants, cela justifie pleinement une grande prudence dans la décision politique qui est de facto dépendante des études réalisées par les industriels de l’agrochimie promoteurs du glyphosate.

On ne peut pas considérer que le Conseil dispose des éléments suffisants pour renouveler le glyphosate pour quinze ans, dix ans ou même cinq ans. Nous avons besoin de plus de sciences et de mobiliser à cette fin beaucoup plus de moyens. Nous sommes favorables à une interdiction rapide du glyphosate.

Les alternatives existent même si elles sont encore insuffisamment diffusées et soutenues. Elles passent notamment par la diffusion des pratiques issues de l’agroécologie. Et de grâce, que l’on ne vienne pas nous expliquer que le renouvellement du glyphosate viserait à assurer la sécurité alimentaire et à lutter contre l’inflation, les alternatives aux pesticides existent.

Les mêmes responsables reviennent tous les cinq ans, les mains vides de solutions pour les paysans et l’environnement, réclamer le renouvellement de l’autorisation de produits dangereux pour l’environnement et la santé, clamant, fiers de leur inaction, qu’il s’agit de la seule solution raisonnable. Nous refusons cette fatalité. Que le débat s’ouvre enfin, d’autres choix sont possibles.

Les signataires de la tribune Manon Aubry, députée européenne GUE (gauche radicale) ; Benoît Biteau, député européen Verts/ALE (écologiste) ; Christophe Clergeau, député européen S&D (gauche)

Tribune à retrouver ici : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/15/les-alternatives-au-glyphosate-existent-il-faut-que-le-debat-s-ouvre-enfin-l-appel-de-trois-eurodeputes-francais_6189533_3232.html