« Choisir la préférence européenne pour sauver les filières industrielles des EMR »

« L’industrie européenne des énergies marines renouvelables (EMR) aura-t-elle disparu dans cinq ans ? La question peut paraître absurde. Le marché est en pleine explosion, les EMR sont revendiquées comme un levier majeur de la transition énergétique, des filières créatrices d’emploi et contribuant à la réindustrialisation de l’Europe.

Pourtant la réalité est là. Les producteurs européens d’éoliennes – les turbiniers – sont dans le rouge et perdent des milliards. Une part croissante du marché des sous-stations électriques qui équipent les parcs échappe aux acteurs européens. L’avenir est à l’éolien flottant mais la construction en Europe des flotteurs semble hors de portée.

Il y a deux raisons majeures à cela qui sont désormais parfaitement décrites par les industriels et les énergéticiens eux-mêmes. La fuite en avant dans la baisse des tarifs garantis pour l’attribution des projets de parcs éoliens en mer déstabilise la filière. Ces prix trop bas amènent les énergéticiens lauréats des projets soit à les abandonner car non rentables, notamment du fait de la hausse du prix des composants et des matières premières, ou à rechercher hors d’Europe des fournisseurs qui cassent les prix car ils bénéficient de conditions de concurrence inégales et déloyales.

« Sans réaction rapide de notre part il sera vite trop tard »

Tout cela à un effet profondément dépressif sur le marché européen au moment où nous devrions investir massivement dans la R & D, dans les capacités portuaires et industrielles, et dans les compétences pour accompagner l’explosion à venir du marché. Si nous laissons entrer sur notre marché des concurrents majoritairement asiatiques et chinois au moment où nos industriels leaders sont fragilisés, ces derniers et les PME de leur chaîne de valeur seront balayés comme le fut hier l’industrie européenne des panneaux solaires.

L’évolution en cours est récente mais s’accélère et sans réaction rapide de notre part il sera vite trop tard. Face à cette situation grave, la France est silencieuse, l’Union européenne réagit mais trop timidement. L’annonce d’une possible enquête sur la concurrence chinoise n’est pas suivie d’effet. Le paquet éolien annoncé par la Commission le 24 octobre est utile et positif mais ne propose ni texte législatif, ni changement dans la politique de concurrence, ni politique industrielle offensive. Les acquis mis en avant par la filière – indexation sur l’inflation des tarifs des projets attribués et travail sur des critères de qualifications environnementaux et qualitatifs plus exigeants pour les fournisseurs – peuvent offrir un répit utile mais ne changent pas la donne.

Une industrie de souveraineté

Je mets au débat aujourd’hui un autre chemin, radical mais nécessaire, celui de la préférence européenne. L’industrie des énergies marines renouvelables doit être considérée comme une industrie de souveraineté, comme d’ailleurs les autres filières du renouvelable. Au moment où nous avons un besoin impératif de développer la production d’énergie renouvelable et où les prix européens de l’énergie atteignent des sommets stratosphériques, il est parfaitement absurde de rechercher les tarifs de production les plus bas possibles au risque de tuer l’emploi et de renforcer notre dépendance.

Je propose donc de fixer un tarif minimum pour aussi bien les tarifs garantis par les pouvoirs publics dans le cadre de l’appel d’offres (CFD-contrats pour différence) que pour les contrats de long terme entre les acteurs privés (green PPA). Ce tarif doit permettre de rémunérer correctement tous les acteurs de la filière et de pérenniser les emplois. La contrepartie de ce tarif minimum serait un engagement de sélection de partenaires européens pour tous les lots pour lesquels cela est possible en fixant un minimum de 80 % de la valeur des projets localisés en Europe et 100 % de la valeur fournie par des entreprises répondant aux normes européennes sociales et environnementales.

Observatoire européen

Un observatoire européen des filières, des coûts et des marges, serait le cadre du dialogue entre industriels, énergéticiens et autorités nationales et européennes, en associant également les représentants des régions, des réseaux de PME et des syndicats de salariés, pour garantir l’équité dans les relations commerciales et éviter les surprofits.

L’énergie n’est pas une marchandise comme les autres mais un bien commun. La mer ne doit pas être privatisée mais mobilisée au bénéfice de l’intérêt général. La transition écologique et énergétique doit rimer avec emplois pour toutes et tous en Europe. L’Europe doit conquérir sa souveraineté énergétique à travers le développement du renouvelable. La préférence européenne est la seule manière de combiner ces objectifs et de se donner les moyens d’une politique industrielle européenne qui construise l’avenir des filières des énergies marines renouvelables. »

Assises de l’économie de la mer

Christophe Clergeau, eurodéputé, interviendra aux Assises de l’économie de la mer, organisées par le marin et Ouest-France en partenariat avec le Cluster maritime français les mardi 28 et mercredi 29 novembre à la cité des congrès de Nantes. Il participera à une conférence sur la compétitivité de la filière française des énergies marines renouvelables, le 29 novembre. Plus d’informations sur le site internet de l’événement.

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