Ainsi, le Commissaire européen à la Santé et au bien-être animal, Oliver Várhelyi, veut remettre en cause le principe de renouvellement périodique de l’autorisation des pesticides. Autant dire qu’il défend l’idée d’autorisations éternelles, sans limitation de durée, ce qui met en danger la protection de la santé et de l’environnement.
Aujourd’hui, les principes actifs des pesticides sont autorisés pour une durée limitée. À l’issue de celle-ci, l’entreprise productrice doit déposer un dossier de renouvellement comprenant une actualisation de toutes les données scientifiques relatives aux risques environnementaux et sanitaires liées à chaque substance.
C’est ce que souhaite changer le Commissaire Oliver Várhelyi.
Passer à des autorisations éternelles est, premièrement, très probablement contraire aux traités qui visent un haut niveau de protection de l’environnement et de la santé humaine ainsi qu’au principe selon lequel le droit doit être fondé sur la science. En effet, les effets indésirables de nombreuses substances ont été prouvés ou réévalués au cours de leur utilisation au regard des nouvelles études scientifiques.
Deuxièmement, ce principe, présenté comme un élément de simplification, est lourd de dangers pour le monde agricole lui-même. Le fait que les autorisations soient éternelles peut conduire les agences d’évaluation des risques de l’Union et les décideurs politiques à hésiter à autoriser certains produits. Cela tue surtout toute perspective de sortie des pesticides chimiques, et notamment des plus dangereux, car il n’y aura plus aucune incitation à développer des alternatives. Tout cela se retournera in fine contre les agriculteurs, comme l’a montré en France l’exemple de la loi Duplomb.
Les conséquences pour la santé humaine et l’environnement seront terribles. Par définition, les pesticides sont des tueurs, ils sont faits pour cela, et les preuves sont nombreuses du danger qu’ils représentent à travers leurs effets directs, les effets cocktails et les effets cumulés, même à faible dose.
La simplification ne vaudra que pour les multinationales de l’agrochimie, qui pourront polluer et tuer en toute impunité puisqu’elles seront déchargées de l’obligation légale de préparer ces dossiers de renouvellement et donc, de jure ou de facto, débarrassées de l’obligation d’actualiser en permanence la connaissance des risques qui y sont associés.
On me dira que la loi n’était déjà pas respectée, ce qui est vrai et scandaleux. Pour de nombreux produits, les entreprises ne déposent pas dans les délais les dossiers de renouvellement des autorisations et bénéficient très facilement de prolongements dérogatoires successifs.
On me dira que la protection de la santé et de l’environnement sera garantie puisque les agences de sécurité sanitaire, dont l’EFSA (l’Autorité européenne de sécurité des aliments), pourront, au regard de nouvelles informations scientifiques, réexaminer les autorisations et que la Commission dispose des pouvoirs suffisants pour retirer un produit qui apparaîtrait comme dangereux. Cela se plaide, même si j’ai de sérieux doutes à ce sujet.
Mais chacun comprendra alors que toute la charge qui repose aujourd’hui sur les entreprises et la recherche privée devrait être reprise à leur compte par les agences, dont l’EFSA et l’ECHA (l’Agence européenne des produits chimiques), et par la recherche publique. On parle ici de centaines de millions, voire de milliards d’euros. Les agences sont aujourd’hui prises à la gorge par des missions nouvelles qui leur sont confiées sans jamais les moyens correspondants et sont incapables de faire ce travail. La recherche publique est, dans de nombreux pays, victime de coupes budgétaires et de plus en plus dépendante de ses partenariats avec le privé, et notamment avec ces mêmes entreprises qui développent de nouveaux produits. Il faudrait donc des ressources considérables et plusieurs années pour mener à bien ce changement de paradigme et d’organisation.
Et dans ce cas, comment financer cet effort ? Il serait logique de taxer les pesticides mis sur le marché pour financer le suivi par les acteurs publics des risques qui y sont associés, et dans ce cas, quel serait le bénéfice final pour les acteurs privés ? Les seuls gagnants seraient les fabricants qui répercuteraient cette taxe sur les agriculteurs, qui seraient, une fois de plus, les grands perdants.
Mais dans ce qui circule, et qui pourrait être adopté par la Commission le 16 décembre, la manière dont les agences et la recherche publique pourraient prendre le relais des obligations pesant aujourd’hui sur les entreprises n’est jamais évoquée. Le plus probable est donc que cette suppression des renouvellements périodiques des autorisations de mise sur le marché des pesticides se traduise par un effondrement du suivi scientifique de leurs impacts et du risque qu’ils représentent pour l’environnement et la santé humaine. Il ne resterait alors plus que la vigilance des citoyens, comme l’a montré la loi Duplomb en France, et des ONG, elles-mêmes attaquées de toute part, pour sauver l’Europe d’une inévitable catastrophe sanitaire et environnementale. La charge de la preuve reposant sur l’industrie est, et doit rester, un principe fondateur de notre législation sur les pesticides. Il reste un mois pour se mobiliser et faire échec à cette tentative funeste.